dimanche 13 septembre 2009

Le cadeau

Quel magnifique mot que le mot cadeau ! En l'entendant, nos yeux pétillent de joie et notre sourire s'épanouit illuminant notre visage. Pourtant derrière l'idée de magie qui lui est attribué se trouve parfois une réalité bien éloignée de toute féérie.

Nous jouons tous le jeu de l’échange volontaire obligatoire. Nous offrons en partie parce que nous le voulons bien, et en partie parce que la tradition nous y oblige. Nous sommes même soumis à une triple obligation : celle de donner, de recevoir (qui ose dire « non merci » à un cadeau ?) mais aussi celle de rendre cadeau pour cadeau, faute de quoi nos relations peuvent être rompues. Ces règles ont des conséquences. En principe, nos cadeaux sont des témoignages d’amour, comme une nourriture affective qui trouve son origine dans le don de nourriture de la mère à son enfant. Le cadeau est donc celui qui, de la même manière, satisfait le besoin le plus intime de la personne qui le reçoit. Mais en réalité, donner c’est aussi prendre. Cette idée choque notre imaginaire judéo-chrétien où le don se doit d’être gratuit et désintéressé, mais pourtant nous mettons notre bénéficiaire en position de débiteur lorsque nous lui offrons un présent. Nous attendons en quelque sorte un retour sur investissement. Aussi, sous des dehors généreux, nos cadeaux sont donc avant tout des demandes d’amour.


Chaque enfance est marquée par de magnifiques surprises qui nous ont comblés mais aussi par des cadeaux ratés : ceux que nous avons tant espérés – un vélo, un train électrique, une poupée – et qui ne sont jamais venus, nous signifiant ainsi l’incapacité de nos parents à nous donner à ce moment-là l’amour tant attendu. Sensé symboliser celui qui le reçoit, lorsque nous offrons un présent à quelqu’un, nous présumons de ses goûts et de ses centres d’intérêt. C’est pourquoi un cadeau raté nous blesse tant, car celui-ci révèle à quel point le donateur nous connaît mal et montre l’image dans laquelle il essaie de nous enfermer.


A l'image des rêves que nous faisons lorsque nous dormons, les cadeaux portent en eux tout un langage codifié, dont l'interprétation nous informe à la fois sur notre donateur et sur les rapports qui nous unissent à lui. Du présent offert pour le simple bonheur de faire plaisir, à l'absence totale de cadeau, toute une gamme de cadeaux empoisonnés se décline.



Il y a, par exemple, ceux qui nous donnent une responsabilité que nous n’avons pas choisie. A mon travail, j’ai eu un jour une collègue à qui son petit ami avait offert un chien – un Labrador – alors qu'elle vivait en appartement et qu’elle ne lui avait rien demandé. En guise de cadeau, c’est une somme de contraintes que son compagnon lui avait offert, comme s’il s’agissait d’un moyen de la tenir en laisse. Le cadeau empoisonné, c’est aussi celui qui revient à nier la place de quelqu'un au sein de sa famille : une grand-mère, par exemple, qui offre à sa petite fille le cadeau que sa mère lui avait refusé ou qui la prive du plaisir et de l'autonomie de choisir ou d’acquérir elle-même l’objet offert. Quelle liberté lui reste-t-il alors ?


Tout le monde a, je crois, le souvenir de cadeaux utiles mais décevants : la fameuse pelle à tarte, le minuteur pour la cuisson des œufs, le sceau à glaçons… Pas seulement décevants parce qu’ils sont terre à terre, dénués de poésie ou de rêve, mais surtout parce que certains véhiculent au passage un message indélicat. Offrir un programme minceur à sa femme ou un recueil de recettes de cuisine à sa belle-fille revient, sous prétexte de leur apporter de l’aide, à désapprouver leur apparence ou leurs talents. La belle-mère qui part acheter un pyjama de grand-mère rose bonbon en polaire, taille 44, alors que sa belle fille fait du 38 ou le mari qui offre un superbe collier à sa femme et les boucles d’oreilles qui vont avec, mais à sa sœur… peuvent vexer et humilier pour longtemps les personnes et sont autant d’occasions de régler des comptes.


Et puis il y a les cadeaux vraiment embarrassants. L’épouvantable objet décoratif que quelqu’un nous a offert et qu’il nous faut extirper de sa cachette dès qu’il vient dîner… Le pire étant qu’il crée un sentiment d’obligation. Le rendre est insultant, le garder revient à accepter un objet que nous n’aimons pas et que nous ne voulons pas. Dilemme !


Quant aux donateurs, il en existe également de toutes sortes. Certains assoient leur pouvoir par des dons qui n'en sont pas. Se conduisant tel l’empereur Caligula faisant pleuvoir des cadeaux sur la foule, ils se mettent en position haute par leurs largesses. La grande générosité est parfois un indice fort de la volonté de domination. Gare au grand seigneur qui nous couvre de cadeaux ! Sa prodigalité peut être une façon insidieuse de prendre l’ascendant sur nous jusqu’à nous mettre sous sa coupe et nous asphyxier totalement.



D'autres ne donnent que de l’argent. Il peut parfois s'agir d'une manière de se dédouaner de tout, un contrat tacite disant en substance : « Ne me demandez rien et je vous rétribuerai pour cela en retour ». Ce pacte leur évite de se sentir coupable tout en s'impliquant peu. Le cadeau est facile, vite expédié, impersonnel. Il n'engage pas l'intimité de la personne et le lien qui subsiste n'est que superficiel et illusoire.


Ceux qui n’offrent jamais rien ou pas grand-chose cachent souvent, sous des dehors radins, une fragilité narcissique. Ils n’ont peut-être pas été élevés dans l’idée qu’ils pouvaient faire plaisir et en ont gardé un manque de confiance dans leur propre générosité. Plutôt que de donner d’eux-mêmes au risque de décevoir, ils préfèrent offrir du conventionnel à petit prix ou s’abstenir, et souffrent du dépit de leurs proches.


Diverses personnes vivent ce rituel comme une telle corvée, qu’ils partent faire leurs achats une demi-heure avant la fermeture des magasins. Certains font ça tout le temps, incapables de donner quoi que ce soit d’eux-mêmes, incapables de faire un cadeau. Probablement se sentent-ils forcés, obligés de répondre à cette exigence annuelle imposée par la tradition, la famille et la société. Ils envoient parfois leurs cadeaux plusieurs jours après l’événement ou bien le cadeau n’est pas emballé ou encore ils ont chargé quelqu'un d'autre de s'en occuper à leur place. Il peut aussi s'agir d'un événement vécu comme une épreuve difficile. Certains mettent tant d'exigences, tant d'attentes dans leur désir d'être compris et comblés que leur offrir un cadeau se transforme en un défi à relever avec maestria chaque année, enlevant toute sincérité et spontanéité dans le geste d’offrir.


Enfin, il y a ceux qui soignent l’emballage. Au-delà de l’objet offert, il y a l’attention portée à la mise en scène. Préparer avec un grand soin une surprise, fabriquer l’emballage ou le cadeau, c’est honorer le bénéficiaire de sa créativité et de son temps. Mais ce que la personne qui offre le cadeau met aussi en jeu ici, c’est son identité. L’originalité du présent est une manière d’affirmer sa singularité et une demande de reconnaissance.



On fait un cadeau pour faire plaisir et aussi pour plaire. Il y a l’envie de dire son amitié, son amour et ça peut-être parfaitement spontané et sans arrière-pensée. Nous aimons faire des cadeaux, donner nous rend heureux car nous faisons preuve de notre joie, de notre vitalité, nous nous sentons généreux, riche de quelque chose que nous allons partager sincèrement. Mais nous attendons aussi quelque chose en retour, nous espérons qu’on va nous apprécier, que nous allons éveiller une réaction et un intérêt chez l’autre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire